Carnet de voyage

24/05/2012 00:01

Traversée du Pacifique

24/05/2012 02:18

Traversée du Pacifique

 

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Nous quittons les Galápagos le 8 mai pour nous rendre en Polynésie, dans les îles Marquises. La traversée se passe bien. Nous avons du vent presque tous les jours et nous mettons 16 jours pour arriver sur la première île, Fatu Hiva.

Pour en savoir plus sur la traversée, voir le journal de bord du capitaine.

 

 

Journal de bord du capitaine

 

Jour 1

 

Eh oui, ça y est on est enfin partis pour notre deuxième grosse traversée.

Départ vers 15h (UTC-6) de Isla Isabella (Galápagos), après avoir salué MAAT un autre Freydis (nom du modèle de notre bateau).

Le mouillage quitté, nous avons longé l'île par le sud, avec peu de vent mais du courant portant.

Maintenant nous avons 10 nœuds de vent, et du courant contraire... Ceci nous a permis de voir un "banc" de raies Manta de taille fort respectable, batifoler un peu partout autour de nous. C'est visiblement la saison où toutes les raies sont excitées. Jusqu'à présent on avait vu des bancs de raies "portions" frétiller à la surface, sauter en l'air, mais quand c'est des "portions x20" de 2m d'envergure, je ne sais pas pourquoi, on se sent un peu plus chose...

On a beau dire que la taille n'est pas importante, il faut bien avouer qu'elle ne laisse pas indifférente...

 

Normalement nous allons essayer de garder un Cap le plus Ouest (270) possible pour profiter du vent Sud, Sud-est, puis faire plus cap au Sud-ouest quand le vent viendra plus de l'Est. Le but de la manœuvre étant de garder si possible le vent de trois quart arrière (120°) le plus longtemps possible.

 

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Jour 2

 

Petite nav aujourd'hui, 160 Miles Nautiques ( 160 Nm), de plus assez désagréable avec peu de vent et une mer relativement hachée. On est un peu bousculé dans le bateau et cela rend les choses désagréables.

 

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Jour 3

 

210 Mn parcourus. C'est une belle journée de nav en distance mais le confort n'est pas encore là. On est toujours secoués par des petites vagues qui se mélangent avec la longue houle du Pacifique qui s'est formée dans le Grand Sud.

 

Elle est marrante cette grande houle. Quand elle se forme, elle a plutôt une direction Ouest-Est, suivant ainsi les puissants vents dominants du Grand Sud et transportant avec elle toute l'énergie qui résulte du frottement de vents très violents parfois avec cet autre fluide qu'est l'eau. Puis, lentement, patiemment, degré par degré, à force de caresse toujours dans le même sens, le vent plus calme des plus hautes latitudes change sa direction pour l'orienter Sud Nord et l'apaiser, la rendre juste le messager du déchainement passé et lointain de la nature dans le Grand Sud.

Ah les caresses, ça marche tout le temps...

 

Aujourd'hui notre souci est le dessalinisateur, cette petite machine qui produit l'eau potable à bord avec l'eau de mer.

Visiblement elle ne va pas bien. Au bout d'une demi-heure de fonctionnement nous n'avons toujours pas d'eau correctement dessalée. Il y a comme un stress à bord. On croyait avoir réparé et testé notre réparation à Isla Isabela, mais voilà que la panne se repointe. On est en début de traversée avec 240L d'eau pour 6 personnes et disons 30 jours de navigation max pour arriver aux Marquises, cela ne fait pas lourd par jour et par personne: 1,5Litres. Sans compter l'eau dont on a besoin pour la cuisson du riz, des pâtes, des légumes...

Cela parait limite raisonnable...

 

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Jour 4 : GPS  03°34 S - 104 53 W le 13_05 9h33 UTC

 

Les journées de navigation se suivent avec des belles moyennes.

210 Milles parcourus aujourd'hui, direction 257°, avec un vent de 12Kn venant du 120°.

Je pense que nous avons un courant de 1 Kn qui nous pousse vers les Marquises. Cela nous met vent apparent et houle de fond du Pacifique de travers, conditions relativement confortables.

 

Notre problème de dessalinisateur a été partiellement réglé.

Pour essayer de tester quelle membrane ne fonctionnait pas bien, nous avons découplé la sortie d'eau douce de chaque membrane.

Mauvaise surprise, les deux membranes produisent de l'eau salée. Notre premier pronostique qui consistait en un défaut de joint sur l'une des membranes semble tomber à l'eau.

Cependant à force de persévérance, au bout d'une heure de fonctionnement, nous avons constaté une amélioration dans la qualité de l'eau produite sur l'une des membranes, puis sur l'autre. Du coup nous avons profité pour remplir d'eau douce tout ce qui peut-être rempli.

Cela nous laisse avec plus de 300L pour le reste de la traversée et le stress qui était monté depuis 2 jours est redescendu.

De toutes les façons, nous avions notre camarade de traversée VISITEUR qui aurait pu faire un peu de ravitaillement en cours de traversée. Un catamaran LAGOON (réputé, gros lourd et lent mais très confortable) faisant office de ravitailleur au milieu du Pacifique, cela aurait été marrant je crois, et un bon sujet de railleries lors des apéros... Enfin il est peut-être un peu tôt pour parler au passé.

Pour continuer notre investigation sur l'origine du problème membrane, nous avons décidé d'effectuer un "nettoyage" de celles-ci avec un produit spécial. Cela consiste à faire circuler dans le dessalinisateur ce produit pendant une heure afin d'éliminer les dépôts de sel et autres résidus produits dans les membranes pendant leur fonctionnement.

Une heure plus tard, nous relançons en mode production d'eau notre producteur d'eau douce sans plus de succès qu'auparavant...On refera un essai demain.

Mais comme un problème n'arrive jamais seul, nous avons la joie de constater que notre commande d'inverseur du moteur bâbord est cassée...L'inverseur c'est la pièce mécanique qui fait la liaison entre le moteur et l'arbre d'hélice. Cela promet des manœuvres compliquées à venir...Ce qui est terrible c'est que le vendeur d'accastillage bateau chez lequel je me suis équipé m'avais prévenu: tu devrais prendre un câble de rechange au cas où. Là-bas si cela casse, tu seras vraiment ennuyé et cela te coutera cher. Encore un mec qui voulait me fourguer de la came dont il n'y avait aucune raison que j'ai besoin...

 

Maude a de la température ce soir. Maintenant on sait que pendant les traversées on emmène toujours avec nous un petit virus rien que pour notre petite Maude, pour qu'elle puisse faire stresser sa maman bien comme il faut...Un peu de Doliprane pour faire tout cela devrait arranger l'affaire.

 

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Jour 5 :GPS  04°39 S - 107 49 W le 14_05 9h00 UTC

 

Aujourd'hui on a un peu moins bien avancé. 190 Mn.

Le vent n'était pas vraiment au rendez vous. 11Kn au 110° cela nous a mis le vent de trois quart arrière. L'avantage c'est que la journée fut reposante, avec une mer calme et un bateau pas très secoué, mais avec 11kn de vent on se traine. Le gennaker (sorte de Génois très léger qui sert par petit temps et vent portant) est de retour à son poste au grand regret de Francis. Il ne l'aime pas cette voile. Il faut dire qu'à chaque fois, vu que son enrouleur n'est pas bien adapté, c'est une sinécure à envoyer puis à rentrer et souvent il se retrouve assis sur la voile pour l'empêcher de prendre le vent et nous permettre de la ranger.

 

Nous avons fini notre contrôle dessalinisateur. Je crois que les conclusions ne sont pas bonnes pour les membranes. Au bout d'une heure de fonctionnement le dessal commence à produire de l'eau douce, ce qui à mon sens indique qu'il va falloir les changer. C'est rageant car cela aurait été très simple à faire au Panama en les commandant aux US. Le circuit de livraison est relativement bien organisé. Maintenant on va rentrer en Polynésie française et ce sera long et couteux...

 

Panama, le pays où l'on a trainé bien malgré nous en attendant notre latte de Grand voile et étape qui nous a sapé le moral par sa longueur, l'administratif très aléatoire et soumis à des comportements de corruption de certains fonctionnaires. Pour être plus précis, ce n'est pas le pays qui est pénible, ce sont les 2 grandes villes Colon et Panama City et surtout quand on est plaisancier aux dates de transhumance pour la Polynésie. Là il y a du "business" qui s'est mis en place autours du canal, pour essayer de ramasser tous les dollars qui trainent dans les poches assez souvent remplies des transhumants.

 

Maude a encore de la température et n'a pas beaucoup mangé aujourd'hui.

Mais tout cela a l'air sous contrôle.

 

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Jour 6 :GPS 05 °03 S - 110 25 W le 15_05 1h00 UTC

 

232 Mn dans la journée, pour l'instant c'est notre deuxième meilleur record depuis le début de l'aventure avec CERAMAJE, après avoir connu un 250 Mn durant la traversée de l'Atlantique. Dans le milieu des plaisanciers 200 mN c'est beaucoup déjà. Pourtant, nous n'avons pas atteint de vitesses excessives comme lors de la traversée de l'atlantique, seulement quelque pointes à 13,5 kN.

Le vent était relativement régulier entre 18 kN et 20 kN venant d'Est Sud Est et nous avons fait route au 260 ° suivant ainsi un cap direct sur les Marquises.

Nous étions pendant la journée sous Grand Voile + Gennaker et la nuit 1 ris dans la GV et Génois sorti.

La journée est fatigante avec une mer qui nous chahute par le travers, on va essayer de faire un peu dodo..

 

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Jour 7 :GPS 05 °59 S - 114 07 W le 16_05 1h UTC

 

228 Mn dans la journée, les belles journées se suivent en ce moment.

Pourvu que cela dure. Cet après-midi, nous venons de franchir la ligne imaginaire de la moitié de notre trajet, soit 1490 miles parcourus depuis les Galápagos (environ 2700 km). Pour l'occasion, Raphaël nous a fait un bon gâteau à la banane que nous avons savouré accompagné de quelques verres de bon vin. Cela n'est pas désagréable de se détendre un peu...

Vent entre 20 kN et 25Kn, un peu plus Est qu'hier, ce qui fait que pour garder un cap direct au 260 nous nous retrouvons vent apparent au 140-160. C'est normalement une allure que n'aime pas tellement un catamaran. Mais comme le vent est plus fort, on supporte relativement ce presque "vent arrière".

Pendant la journée GV+ Gennaker+génois avec 1,5 ris. Cela permet de ne pas faire supporter trop d'effort au Gennaker. Mais je commence à entendre un bruit de cognement à l'intérieur du mât. Au début, je croyais que c'était les vagues qui cognaient sous la nacelle provoquant ainsi une résonance dans le mât. Et je ne me suis pas plus inquiété que cela. Mais le bruit persiste, certes pas très souvent, mais régulièrement. Je me suis fixé une règle sur le bateau : dès qu'un bruit anormal se produit, il faut identifier l'origine du bruit, car c'est souvent, pour ne pas dire toujours, le signalement d'une anomalie de fonctionnement qui risque de devenir un problème par la suite. Avec Francis, nous nous mettons donc en quête d'explication. Quelque chose cogne sur le mât et il nous faut trouver quoi. Après avoir contrôlé les haubans, les drisses, la base du mât, on ne trouve toujours pas...

La seule différence avec hier c'est que nous avons rajouté du génois et que le vent a un peu augmenté. Nous enroulons donc le génois pour laisser le Gennaker tout seul. Bingo, le cognement disparait presque totalement. A la nuit, dans une heure, nous ferons l'opération inverse, et nous constaterons que le bruit a totalement disparu. Oui je sais, on aurait pu faire l'opération immédiatement, mais comme le vent est assez fort tout de même, l'envoi et la rentrée du Gennaker sont un peu sportifs. L'urgence n'étant plus là, et la fin de journée approchant, je préfère économiser l'équipage.

Conclusion, j'ai visiblement un peu abusé des voiles de l'avant compte tenu du vent et cela devait faire travailler un peu trop le mat. Il faudra quand même essayer d'avoir une réponse précise...

 

La nuit arrivant, on garde GV et Génois sans ris. Depuis le début de la traversée on n'a pas vu un grain (nuages isolés avec pluie et fort vent) qu'on redoute la nuit quand on ne les voit pas arriver. Mais plutôt quand nous sommes passés à côté de ces nuages caractéristiques, ce fut plutôt une baisse de vent qu'une augmentation. Donc on garde la toile...

 

Maude est presque guérie. Mais on ne désespère pas que cela recommence... Ou si ce n'est pas elle, ce sera son frère. Tiens d'ailleurs, Raphaël commence à se moucher de plus en plus...

 

J'ai enfin réussi à envoyer des mails avec Iridium sans Skyfile.

Cependant, cela prend énormément de temps à l'établissement de la connexion avec le serveur de mail de Google. Ils sont cons ces mecs de Google, ils sont dans leur monde de connexion internet très haut débit où le Ko n'est plus qu'une erreur de mesure. Il faut qu'ils pensent aussi au pauvre petit utilisateur défavorisé en débit qui vit au milieu du Pacifique et pour qui le Ko est très cher...

Un décalage d'un jour s'était glissé dans les dates précédentes en raison du décalage horaire entre notre fuseau horaire et UTC qui fait changer de jour...

 

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Jour 8 :GPS 07 °10 S - 117 40 W le 17_05 1h00 UTC

227 Mn dans la journée, toujours une bonne moyenne dans les mêmes conditions que Jour 7.

CAP au 250 avec un vent au 100-110 (Est, Sud Est), ce qui nous fait un vent apparent au 140. On est limite (le bateau n'a pas de tangon pour établir le génois), mais comme le vent est assez fort, cela nous permet de maintenir une route relativement directe sur les Marquises. Nous gardons GV et génois.

Céline m'indique qu'il faudrait que je fasse part de l'organisation du bord. En ce qui concerne les quarts de nuit : 22h00-01h00 : Céline commence les quarts. Elle se repose un peu avant et ce sont donc Francis et Marie-Thé qui couchent les enfants.

01h00-05h00 : je prends le quart de pleine nuit. S'il arrive un problème de nuit, il vaut mieux que ce soit moi qui gère en vision restreinte.

05h00-9h00 : c'est le tour de Francis qui aime bien voir le jour se lever sur la mer.

06h00 : Marie-thé se réveille et s'occupe du réveil de Maude qui est assez matinale.

Cette organisation permet de préserver de bonnes tranches de sommeil pour presque tout l'équipage et donc de pouvoir faire face aux activités enfants dans de « bonnes conditions ». De plus, quand je suis fatigué, je dors par tranche de 30 min pendant mon quart. Il faut dire qu'il n'y a pas foule dans cette partie de l'Océan. On croise tout de même des cargos qui font la liaison Japon-Amérique du Sud, ou bien Nouvelle-Zélande - Amérique du Nord ou Canal de Panama.

Marie-Thé et Céline s'occupent principalement de la cuisine, dont nous n'avons pas à nous plaindre, et des enfants.

Francis et moi-même de la gestion du bateau.

 

La gestion des enfants est compliquée. La mer croisée, houle du Sud, vagues du vent d'Est, engendrent des mouvements saccadés du bateau qui rendent difficiles les activités de concentration et de précision. Les adultes commencent à être amarinés suffisamment pour les faire, mais pas trop longtemps. Par conséquent, Raphaël a laissé tomber l'écriture et ne fait qu'un peu de lecture et de calculs, histoire de ne pas trop perdre la main. Ces mouvements limitent aussi les activités possibles de Maude.

Ceci entraîne une grande « activité » télé... Eh oui, c'est paradoxal, mais sans tout ce qui est vidéo, que nous essayons de limiter au maximum, les longues navigations seraient très compliquées à gérer. Il faut dire que quand on est un enfant, on s'emmerde sur un bateau tant qu'on a rien à faire et on attend avec impatience l'arrivée où on pourra retrouver des copains...

 

Jour 9 :GPS 08 °17 S - 120 41 W le 18_05 1h UTC

200 Nm aujourd'hui. Mais pas autant en direction de notre arrivée.

Le vent a faibli à 16Kn pour s'établir au 90, donc plein Est. Ceci nous a obligés à faire cap au 235 voir de 230. Du coup on a changé de bord pour remonter plus au Nord et aller chercher les courants de 1kn

(Est-Ouest) qui sévissent 100Nm plus au Nord. Nous nous n'avons que 0.3Kn de courant favorable. 0,7 Kn de courant en plus c'est 17 Nm de plus dans la journée. Et 17Nm de plus sur 8 jours c'est 140Nm soit presque 1 jour de navigation de moins. Mais une fois le changement de cap fait, nous voilà au 320 au lieu des 300 attendus...Ça énerve le capitaine ça. Eh oui le vent n'arrête pas d'osciller, et quand il oscille de 20 °, juste au moment où vous changez de cap, non seulement il oscille, mais en plus il énerve le skippeur qui vient de recalculer sa route pour faire face aux nouveaux paramètres. C'est un peu comme quand on est dans la position, j'y vais, j'y vais pas. On commence par ne pas y aller histoire de voir, on constate qu'on aurait pu y aller depuis longtemps, et quand finalement on décide d'y aller. Ben non, fallait pas y aller...

Maude ou Raphael ont coupé l'alimentation du pilote automatique et Raphael l'a rallumé sans nous le dire. Du coup le pilote était en stand-by. Le bateau a alors commencé à dévier de son cap et pour finir par empanner et comme il n'y avait pas beaucoup de vent, cela s'est fait en douceur sans que personne ne s'en rende compte, chacun vacant à ses occupations du moment, coucher des enfants et repos.

Panique de Céline qui retrouve le bateau avec les voiles à contre (les voiles sont du mauvais coté par rapport au vent), le bateau pointant au

57 alors qu'il devrait être au 240...Soit en sens inverse.

"Jean-Franck, Jean-Franck, qu'est ce que je fais ?" S'écrie un peu affolée Céline, "de quel coté je tourne ?". Bref une douce mélodie pour vous réveiller dans votre premier sommeil. Bah oui quoi, j'dormais avant mon quart. "A gauche, à gauche" lui dis-je la tête sortie par le panneau de notre chambre, "il faut être au 240, appuies plusieurs fois sur -10 sur le pilote automatique".

Là, le lecteur averti constatera 2 choses. D'abord c'est pas bien, il dit à gauche au lieu de bâbord. ben oui, sur un bateau, bâbord indique la gauche quand on regarde l'avant du bateau et tribord la droite dans la même situation. Cela évite des situations d'incompréhension quand 2 personnes se regardent l'une à l'avant du bateau et l'autre à l'arrière, et que l'une dit "à gauche" et que l'autre doit comprendre "à droite", incompréhension comique quand tout va bien, mais qui peut devenir source à problème dans des situations délicates. En l'occurrence, le stress de Céline me fit préférer l'indication basique qu'il ne lui fallait pas interpréter.

La deuxième chose qui interpellera le lecteur qui sait encore calculer, mais est néophyte en voile, c'est que je lui indique de faire -10 plusieurs fois pour passer de 57 à 240!!! Ah comme c'est beau la trigonométrie, on passe de 0 à 350 en enlevant 10 et de 350 à 0 en rajoutant 10. Mais attention, cela n'est valide que dans le cadre de la trigonométrie, pour le reste cela ne marche pas...Enfin sauf pour la dette des États, c'est en effet le seul domaine en dehors de la trigonométrie, ou d'une manière plus générale les calculs de congruence, où quand on rajoute de la dette à un problème de dettes, on fait disparaitre la dette. Moi je ne l'avais pas appris lors de mes études, mais il doit y avoir eu des études sérieuses publiées depuis puisqu'à en croire nos politiques et les banquiers centraux, cela marche comme ça...

Suite à la remise au bon cap du bateau, et donc à un nouvel empannage, on entend "Gling", sur le bateau. Quand on entend "Gling" sur un bateau, qu'il fait nuit, et qu'on vient d'empanner, il faut toujours s'interpeler. D'ailleurs, paradoxalement, c'est Marie-Thé la moins habituée à la voile qui signale le problème : "Il y a quelque chose qui est tombé". "J'ai entendu quelque chose tomber par là, sur ce flotteur (le flotteur tribord)" répète-t-elle. Il faut trouver ce que c'est. Les lampes frontales sont sorties et on retrouve tout d'abord une vis de manille. Ça c'est pas bon une vis de manille qui traine sur un pont.

Il faut absolument trouver d'où cela vient. Après une première inspection du gréement, tout semble en place. Puis je retrouve, accroché à l'écoute de Gennaker qui passe en dehors des filières de sécurité, donc à l'extérieur du bateau, le reste de la manille. Double coup de bol, primo qu'elle soit restée accrochée à l'écoute de gennaker, deusio que je l'ai vu... Il y a donc une manille qui s'est faite la malle...En général une manille cela sert à relier un cordage à un point fixe du bateau... Très inquiétant tout cela. Finalement je finis par m'apercevoir qu'il s'agit de la manille qui tient la balancine (corde qui part du haut du mât et qui tient la bôme de la grand-voile).

Heureusement, en navigation, c'est la GV qui tient la baume en hauteur, la balancine ne sert que quand on rentre les voiles où quand on prend un ris. Sur ce coup-là je dirais lucky, pour les adeptes de la pub pour les cigarettes Lucky-Strike.

Une vingtaine de minutes plus tard, deuxième mise en Stand-by du pilote, accompagné d'un "bip, bip" dans le carré. C'est toujours Céline qui est de quart. Deux problèmes pilotes en si peu de temps, cela stresse un peu.

Il faut savoir qu'on ne barre jamais CERAMAJE car on n'a aucun plaisir à le faire dans 99 % des temps de navigation. Nous sommes donc toujours au pilote automatique, ce qui nous permet de vaquer à nos occupations une fois les voiles réglées. Le "bip, bip" me met sur la piste de la télécommande du pilote. Celle-ci a été allumée, sans doute par les petits doigts agiles de Maude, et quelqu'un a par mégarde appuyé sur Stand-by...

N'oubliez pas, "Glink" ou "bip, bip" signalent des emmerdes sur un bateau !!! ;)

 

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Jour 10 : GPS 09°55 S 123°14 W 19/05 1h UTC

190 Mn aujourd'hui.

Vent au 90° à 15Kn.

Cap au 235 en moyenne.

Grand Voile + Génois + Gennaker... On a retiré le Gennaker pour la nuit qui est plus ventée avec l'arrivée de nuages par le Sud.

 

La mer est relativement calme, ce qui rend la navigation confortable et reposante, mais on a eu l'impression de se trainer un peu. Pour conserver un peu de vitesse on est quasiment obligé de faire route vers les Gambier alors que normalement on devrait faire route au 270 maintenant. Ce qui fait que lorsqu'on parcourt 100Mn, c'est uniquement 90 qu'on fait vers notre arrivée.

On a pas mal hésité à aller aux Gambier. Il semble que ces iles du sud-est de la Polynésie française soient encore préservées du développement touristique. Elles ont encore des zones difficiles d'accès pour le tourisme de masse et donc semble-t-il encore relativement authentiques. Certains disent que dans certaines iles du sud-est de l'archipel des Tuamotu, ils voient tellement peu de gens que c'est vraiment la fête quand un bateau arrive. Légende où réalité ? Je crains qu'on ne le sache jamais, car on va faire probablement partie de ces gens qui passent à côté sans aller voir.

Les deux problèmes techniques (dessal et câble d'inverseur) vont nous obliger à nous mettre dans une zone où on peut s'approvisionner en pièces pour bateau, et je crois bien que les Gambier n'ont pas développé une activité de plaisance endémique... De plus, Céline souhaiterait mettre Raphaël un peu à l'école cette fin d'année scolaire.

Ceci a pour conséquence qu'on doit d'abord faire escale aux Marquises voire à Tahiti. Or une fois qu'on a dépassé la longitude des Gambier, les vents et courants rendent difficile de s'y rendre, car on se retrouve à naviguer alors contre les vents dominants et les courants.

Si, malgré cette perspective peu réjouissante, on entreprenait de le faire, ce serait pour aller y passer un peu de temps... Mais voilà, après les vents dominants et les courants, il vient les cyclones... et comme la Polynésie est en zone cyclonique, il faudrait l'avoir quittée en novembre. Traverser toute la Polynésie de juillet à novembre, il ne va pas falloir trainer... À moins qu'on décide de rester aux Marquises pour la saison des cyclones... Va savoir...

 

Nous avons parcouru les 2/3 de la distance qui nous séparait des Marquises. Après notre légume quotidien qu'est la banane plantain, ce sera, pour marquer le coup, un dessert crêpes + cidre ce soir. La pâte est préparée par Raphael en faisant attention de ne pas mettre d'œuf pourri dans sa préparation. Eh oui, au bout de 10 jours, certains oeufs sont déjà impropres à la consommation... Et les bananes qu'on pensait pouvoir garder assez longtemps sont toutes à manger...

 

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Jour 11 : GPS : 11°20 S - 126°04 W - 20/05 - 1h UTC

190 Mn aujourd'hui.

Vent au 100° à 15Kn.

Cap au 245 en moyenne.

Grand Voile + Génois + Gennaker

 

La mer était calme et plutôt agréable aujourd'hui pour Céramaje.

On a enfin repêché. En 10 jours de navigation, c'est la deuxième fois qu'on pêche, et cette fois-ci c'est encore une petite daurade coryphène.

On ne peut pas dire qu'on soit gâté de ce côté là. Pourtant, on a vu des oiseaux de mer venant des Galápagos jusqu'au jour 8 (soit à 2000Nm de leur lieu de référencement terrestre !!!), ainsi que des encornets volants et poissons volants. Oui, oui, les encornets étaient volant puisqu'on en retrouvait une demi-douzaine tous les matins sur le pont, et certains même avaient voulu participer à la décoration de notre bateau en y crachant un peu d'encre, au hasard de leur inspiration... et de leur atterrissage sur le pont. Maintenant les oiseaux des Galápagos ont disparu, ainsi que les encornets, il reste les toujours présents poissons volants et les espèces volantes des iles de Polynésie.

On a eu des nouvelles par Iridium du catamaran ÉOL (Nautitec de 40", avec deux enfants à bord) qui était parti 3 jours avant nous, mais malheureusement un peu trop tard. On est passé devant eux à mi-parcours.

C'est dommage, ça aurait été sympa pour les enfants d'organiser une rencontre au milieu du Pacifique. Et pour les adultes aussi.

On dit parfois que les bateaux ont une âme. Pour Céramaje c'est certain.

J'avais dit à Pierre, le skippeur de VISITEUR, le "LAGOON ravitailleur"qui nous suit dans cette traversée, qu'on lui laisserait des jalons sur la mer pour qu'il puisse plus facilement nous suivre. On avait parlé notamment de cannettes de bière, histoire de motiver le marin qui nécessairement est en quête de quelque chose à boire sur ces longs parcours. Eh bien Céramaje, lui aussi veut être de la partie et montrer qu'il participe activement à l'aventure. Lui il a décidé de jeter des pièces de son accastillage. Hier c'était une manille de la balancine, et aujourd'hui ce fut le centre d'un anneau d'attache de la grand-voile.

C'est l'anneau au point d'écoute de la GV qui fait la liaison GV-bôme. A l'intérieur de cet anneau, il y a un diamètre soudé à l'anneau. C'est ce diamètre que Francis a retrouvé sur le pont aujourd'hui. Et on n'avait même pas entendu de "Glink"... Du coup on a du affaler la GV le temps de déterminer d'où venait cette pièce. Plus de stress que de mal. En attendant de déterminer l'importance de cette pièce, on a renvoyé la GV avec un ris, ce qui permet à l'anneau en question de ne plus être en position de travail. Et comme il y a un ris dans la GV, Céline fera son quart sans inquiétude sur l'attitude à tenir en cas de montée du vent.

Quant à moi, j'ai essayé d'expliquer à Céramaje que si les cannettes pouvaient flotter, ce n'était en général pas le cas des pièces métalliques, et que par conséquent cela ne servait à rien d'essayer de les semer. C'est un peu comme le Petit-Poucet qui au lieu de laisser derrière lui des petits cailloux blancs, laisse des petits morceaux de pain. Les oiseaux les mangent.... J'espère qu'il a compris la métaphore !!!

 

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Jour 12 GPS : 12°56 S - 129°09 W - 21/05 - 2h UTC

200 Mn aujourd'hui.

Vent au 90° à 18Kn, mer relativement calme.

Cap au 245 en moyenne.

1 ris Grand Voile + Génois + Gennaker...

 

Ca y est, notre girouette TacTick, qui fonctionne sur pile avec rechargement par le solaire, commence à nous lâcher la nuit. Elle a résisté plus longtemps que pendant la traversée de l'Atlantique, je commençais même à nous dire qu'on n’aurait pas de problème. Mais non. On va donc recommencer à la couper le jour pour qu'elle se recharge et puisse fonctionner la nuit. Quand la nuit est sans lune, comme c'est le cas en ce moment, on est content de pouvoir voir d'où vient le vent, surtout si un grain nous rattrape...

Après inspection de la casse d'hier, je décide de garder un ris dans la GV. La pièce abimée étant devenue contondante, elle risque de sectionner les cordages qui lient la GV à la bôme. Le ris est pris assez lâche de façon à bien pocher la GV et essayer de gagner en forme de la voile ce qu'on a perdu en surface.

Et dire qu'on a attendu un mois à Panama une latte de GV qui ne nous est plus utile maintenant...

Avant de quitter les Galápagos, nous avions reçu un courrier de la part de l'inspection académique, transféré par mail par ma mère, nous indiquant de nous préparer à recevoir la visite de leur service pour vérifier le bon fonctionnement de l'éducation à domicile de Raphael.

Cela nous fait assez rire et à deux titres. Le premier étant le rendez-vous que nous leur avons donné aux Marquises ou au Tuamotu, suivant la date exacte de leur visite. Le second étant la présence à bord de 2 institutrices, la mère et la fille. Quand il y a un instit pour 25 enfants, on va le voir une fois tous les 5 ans, mais quand il y a 2 instits pour 1 enfant, là il faut inspecter tout de suite. Il y a danger pour la santé mentale de l'enfant sans doute...

Il y a deux jours nous avons reçu un courrier des mêmes autorités concernant la mise en disponibilité qu'a demandé Céline qu'il fallait régulariser. Bah oui, si vous voulez, mais là ça va être compliqué... au milieu du Pacifique!

Bon je sais, on rit de peu de chose, mais cela a un petit côté Brazil (film culte pour les initiés) qui n'est pas sans saveur.

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Jour 13 GPS : 11°14 S - 131°04 W - 22/05 - 2h45 UTC

146 Nm aujourd'hui.

Vent au 90°, 11Kn, mer calme.

Cap au 310 en moyenne.

1 ris Grand Voile + Gennaker.

 

11Kn de vent quand on est au 3/4 arrière, cela veut dire très peu de vent avec un vent apparent de 7Kn.

C'est la raison pour laquelle je n'ai gardé que le gennaker sans le génois, sinon les voiles se gonflaient à peine.

Normalement on devrait faire route directe au 280, mais on se retrouverait vent arrière à 4.5kn ou 5.5Kn.

Comme il n'y avait quasiment pas de vent pour notre allure, j'ai appuyé la route en mettant un moteur à faible régime, ce qui nous a permis de remplir le réservoir avec le dessal et de prendre chacun une douche.

Eh oui, tout le monde est propre comme un sou neuf à bord. Ce n'est pas tous les jours que cela arrive.

Comme la mer est calme, les enfants sont plutôt agréables aujourd'hui, pas de dispute, chacun vaque à ses occupations, fait un peu de travail, et joue avec l'autre sans se disputer.

Journée de "trainasse" mais qui fait du bien à tout le monde.

La seule chose qui est pénible c'est que ça sent l'écurie, mais qu'on s'en rapproche finalement assez lentement maintenant.

Il reste 428Nm en ligne droite et 500 si l'on continue à tirer des bords comme on le fait.

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Jour 14 GPS : 11°56 S - 133°37 W - 23/05 - 2h UTC

 

180 Mn aujourd'hui.

Vent au 90° à 15Kn forcissant 18kn dans l'après-midi, mer relativement calme.

Cap au 240 puis au 310.

1 ris Grand Voile + Génois + gennaker... puis génois seulement.

Pas grand chose à dire, la fatigue commence à être présente, j'ai une petite crève, je vais me reposer le plus possible pendant mon quart.

 

 

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Jour 15  GPS : 11°03 S - 136°14 W - 24/05 - 2h45 UTC

200 Nm aujourd'hui.

Vent au 90°, 18Kn, mer calme.

Cap au 310 puis au 240.

1 ris Grand Voile + Génois.

 

Normalement, demain on arrive à Fatu Hiva. En fait, cela se décidera au dernier moment car suivant l'heure d'arrivée, on s'arrêtera, soit à Fatu Hiva, qui normalement n'est pas une île d'entrée en Polynésie, ou on poussera pendant la nuit 45Mn plus loin à Hiva Oa qui elle est une Ile d'entrée.

Pour ceux qui ne le savent pas, on n'entre ni ne sort, pas n'importe où sur un territoire. Il y a des endroits bien spécifiques où l'administratif du pays peut vous accueillir pour que vous déclariez votre entrée sur le territoire ainsi que celle de votre bateau. Dans certains pays où l'administratif n'est pas très dense, cela peut conduire théoriquement à des itinéraires compliqués. Cependant, dans ces cas-là, pour le moment, on a toujours eu la possibilité de déclarer sa sortie par avance en signalant notre itinéraire de sortie. Il est à noter que c'est dans les DOM qu'on a eu les formalités les plus légères.

Il suffit d'utiliser un "ordinateur dédié formalités de douanes" qui peut se trouver dans une capitainerie, un bar ou à la douane même, d'utiliser un fichier prérempli sur sa clef USB, et hop le tour est joué... Et comme il est assez rare d'avoir une administration pragmatique et qui va à l'essentiel, il convient de le souligner...

Ce soir on a fêté ce qui normalement devrait être notre dernier repas du soir de notre traversée. On entre dans les eaux territoriales françaises. Tout le monde veut croire que ce sera terminé demain et qu'on sera au mouillage pour une véritable nuit de repos. Enfin si cela ne roule pas trop... On est tous un peu fatigués tout de même.

Si nous nous arrêtons à Fatu Hiva, ce sera dans la baie des Verges, euh pardon, dans la baie des Vierges ont rectifiés les ecclésiastiques évangélisateurs de cette région du Monde. Ces curés, ils n'en manquent pas une, mettre des Vierges sur des Verges, c'est assez osé quand même pour un membre du clerg...euh je voulais dire, pour une personnalité de l'église... Bref, il y a une très belle baie à Fatu Hiva qu'il ne faut pas manquer. Le seul problème c'est qu'il y aurait un gendarme pointilleux sur cette ile de 600 habitants au moins et toute ses Verges Vierges. Et ce gendarme rappelle, avec toute l'autorité qui sied à sa fonction, que pour ceux qui arrivent de l'Est, il faut aller à Hiva Oa dire coucou aux douaniers. Enfin on verra bien, en espérant que les vieilles vierges n'aient pas trop altéré le pouvoir de discernement d'un membre des forces de l'ordre esseulé.

 

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- Jour 16 et 3H : GPS : Arrivée aux Marquises à Fatu Hiva.

 

La dernière journée de navigation aura été une des meilleures, de notre traversée avec un vent établi à 20 Kn en moyenne. Des pointes à 13 nœuds furent fréquentes. Psychologiquement c'est bon de finir sur les chapeaux de roues au lieu de trainer dans peu de vent.

16 jours et 3h , pour 3130Mn, soit 8.1Kn de moyenne, c'est une belle traversée pour les connaisseurs. On est dans la fourchette basse des temps de traversée (entre 15j et 30j).

 

La découverte de cette ile dont le relief est très découpé est un plaisir. Cela change vraiment de tout ce qu'on a vu jusqu'à présent.

La baie des Verges est magnifique.

Pour terminer ce journal de bord de la traversée je dirai un peu laconiquement

      - 16j et 3h dans ta gueule !!! (petite référence au service militaire ou les appelés près de leur "libération" annonçaient leur temps restant aux nouveaux appelés)

      - Putain c'est beau ici.